Il y a une logique globale aujourd'hui qui est la terminaison d'un processus essayé, validé, planté, revalidé, multiplié depuis des années : il faut vendre des trucs ! n'importe quoi, des trucs, plein, vite, n'importe comment, du cheap, du mal fait ou du bien fait mais vite fait, du nouveau, du brillant, mais surtout plein et vite!
le principe d'Apple a ajouté une couche au plein et vite : il vaut mieux vendre 1 million de titres à 0.99 euros que 100 000 cds à 9.99 euros. parce que ça enlève la phase usine et transport. Parce que pour le client, ça enlève la phase déplacement au magasin juste pour écouter.
vous avez noté que les magasins réduisent de + en + la taille de leurs rayons disque ? ben ils disent que c'est la crise du disque, alors on vend plus rien, donc on réduit. c'est la poule et l'oeuf. On ne peut pas vendre un produit qu'on ne propose plus.
Si vous élargissez l'idée à tous les produits de consommation, vous retrouverez le même schéma : le nouvel ordi, le disque dur de 1T, le lot de 3 twix pour le prix de 2, la nouvelle clio avec la Clim' pour 1 euro de +, bref, rien de bien nouveau.
sauf que ça va vite, plus vite. et plein. les artistes apparaissent et disparaissent à 200 à l'heure. il faut des Tôt ou Tard ou Fargo pour qu'on puisse enfin entendre des projets sérieux, originaux, construits sur le long terme. Mais comment tenir la vitesse ? il faudrait sortir un disque par mois, signer n'importe qui, vite, vite.
Chorus avait cette finesse ancienne de prendre le temps, de concocter son numéro, un à la fois, de faire mijoter. vous savez, la fameuse recette où ça cuit 5 heures à feu doux. et quand vous soulevez le couvercle, rien que l'odeur vous fait un repas.
Aujourd'hui, il faut du tout cuit, rapidos, gout artificiel, paye ton Twix ou ta sauce béchamel déshydratée. on a pourtant parlé de la malbouffe et de ses conséquences (l'obésité grandissante notamment). En musique, c'est la même chose, des artistes à grignoter vite fait (des artwix tiens !), saveur immédiate, 3 pour le prix de 2.
pour la presse, idem, et les émissions télé, et les bouquins, et les portables.
On vient de traverser une crise économique, on a entendu des ministres dire "on sait que désormais, il faut revoir notre façon de gérer l'économie, trouver un nouveau système." mais vous avez vu en réalité ce qui se passe : tout reprend sur exactement les principes : stock, vente, brasser l'argent, jouer avec le virtuel et vite, vite.
Chorus, une fois dans les mains d'un groupe financier, n'avait pas une chance. Chorus était un fanzine géant pour les fanatiques de chanson bien faite et de journalisme intelligent (pas intellectuel). un peu comme les dinosaures ou tout ce qui aime prendre le temps, avancer lentement, bien manger, et garder 5 minutes pour regarder le paysage et le monde autour.
pour vendre un magazine, il faut qu'il soit maigre, qu'il paraisse souvent, qu'on y voit l'étoile filante du moment, que la star en question ait surtout des scoops à livrer, pas trop de trucs compliqués à lire, un jeu concours et des chroniques toutes positives demandées par les maisons de disque parce qu'on est potes quoi et vous savez ma bonne dame, c'est la crise.
La fin de Chorus (il n'y aura pas de dernier numéro) est à la fois symptomatique, logique et dramatique. il faudra désormais compter sur les blogs indés de journalistes passionnés et enragés. sur le bouche à oreille lancé par des étudiants couche-tard, sur une solidarité nouvelle entre les artistes (les uns lançant les autres). oui mais les vieux ? mes parents par exemple ? ils ont pas internet ! et ne l'auront pas. du coup, les derniers cds qu'ils ont achetés c'est Julien Clerc et Mickael Jackson. le premier les a beaucoup déçu ("c'est la dernière fois que je me fais avoir !" dixit la mère), le second est pour archive. mias le Piers Faccini alors ? ben c'est moi qui l'amène, on se pose tous dans les fauteuils et on écoute. et ça crée un truc qui dure ensuite des milliers d'années : de l'humain comme dt Amélie.
Donc voilà où on en est : si on veut encore découvrir de jeunes génies, des expérimentateurs de la nouvelle chanson ou juste de fabuleux mélodistes avec des textes bien faits, ben va falloir prendre la route et son baluchon et communiquer sans fil. Aujourdh'ui on vend plus d'albums d'Amélie ou Maloh en concert qu'en magasin. alors, on pourrait peut-être vendre aussi des Chorus ? Puisqu'en magasin, il n'y aura plus que le dernier Garou, alors: devenons des magasins et des magazines. On bouge, on cause, on fait passer, on link, on trimballe son player avec un double casque, on écrit le soir 1 ou 2 chroniques, on dégomme le dernier Obispo en l'écoutant 2 fois attentivement piste par piste, démontrant ligne par ligne que c'est une grosse daube à ne surtout pas acheter, on ose critiquer le dernier Julien Clerc, mais pas sans connaitre, on laisse mijoter ses colères et ses joies et ensuite : on fait déguster.
Chorus arrête mais gardons en mémoire dans nos recherches google les noms de ses journalistes, m'étonnerait pas que des blogs fleurissent par-ci, par là.
"Sometimes I get overcharged,
that's when you see sparks.
They ask me where the hell I'm going?
At a 1000 feet per second,
hey man, slow down, slow down,
idiot, slow down, slow down. "
(the tourist / radiohead)
("parfois je disjoncte,
ça fait des étincelles.
les gens me disent "mais où tu vas comme ça
a 800 à l'heure ?"
hey mec, ralentis, ralentis,
pauvre con, ralentis, ralentis.")
_________________ bruno/neomme
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